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CA/23-0072

Non fondée Commission d'appel Commission d'Appel Autre décision directeur
AUTRE DECISION DIRECTION - DROIT A LA SANTE

Sur la recevabilité :

Le droit de bénéficier d’une qualité de soins élevée figure dans trois principes importants de soins de santé pénitentiaires formulés dans les « Règles Nelson Mandela », à savoir les principes de :
- L’équivalence des soins : le principe d'égalité signifie que chaque détenu a droit à la même disponibilité, au même accès et à la même qualité de soins de santé que ceux disponibles dans une société libre. La détention en soi ne justifie pas des soins de qualité inférieure.
- La continuité des soins : La détention ne justifie pas la coupure ou l'arrêt des traitements médicaux.
- L’interdépendance clinique des prestataires de soins.

Ces trois principes sont consacrés dans la loi de principes aux articles suivants :

- Article 87 : « Les soins de santé en milieu pénitentiaire visent à promouvoir, conserver ou restaurer pour les détenus un état de bien être à la fois physique, psychique et social. » ;
- Article 88 :« Le détenu a droit à des soins de santé qui sont équivalents aux soins dispensés dans la société libre (...) ».

Le §1er de l’article 93 de la loi de principes prévoit quant à lui :
« Lorsqu’un détenu a besoin d’un examen diagnostique ou d’un traitement spécialisé médicalement recommandé pour lequel la prison n’est pas, ou pas suffisamment, équipée, il est transféré, à la demande du médecin attaché à la prison, vers une prison spécialisée ou orienté vers un hôpital ou un établissement de soins disposant des équipement requis ».

L’article 4, §1er de la loi du 23 mars 2019 concernant l’organisation des services pénitentiaires et le statut du personnel pénitentiaire stipule que :
« L'administration pénitentiaire a pour mission d'assurer, dans le respect des lois et réglementations en vigueur, l'exécution des peines et mesures privatives de liberté
Dans ce contexte, elle garantit et promeut, quelles que soient les circonstances, l'exercice effectif des droits des détenus et des droits des membres de son personnel » (Souligné par la Commission d’appel).

Selon l’article 13, §1er 3° de la même loi :« les prisons dont chacune est placée sous l'autorité d'un chef d'établissement chargé de la gestion quotidienne de la prison, dans le respect des missions de l'administration pénitentiaire visées à l'article ».

Le SPF Justice indique sur son site web : « Le détenu doit pouvoir bénéficier des mêmes soins de santé que dans la société libre. Les soins sont adaptés à ses besoins spécifiques et à l'environnement pénitentiaire. Des infirmiers, des médecins, des psychiatres, des psychologues, des dentistes et des kinésithérapeutes travaillent dans les prisons. Ils veillent à ce que le détenu se sente en forme, tant physiquement que mentalement. » .

La Cour européenne des droits de l’homme rappelait, dans son arrêt Kudla c. Pologne que : « (…) [L]’article 3 [de la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit les traitements inhumains ou dégradants,] impose à l’État de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (…) » .

Il ressort de ce qui précède que le droit à la santé est un droit fondamental consacré par la loi de principes et de nombreux instruments juridiques nationaux et internationaux .

La Commission d'appel considère que si la direction n'a pas pris les mesures nécessaires pour garantir les soins de santé nécessaires à la rééducation du plaignant, que ce soit en rendant un avis sur une demande de permission de sortie pour raison médicale ou en mettant en œuvre des actions pour démontrer qu'elle fait tout ce qui est possible pour permettre à l'intimé de recevoir les soins nécessaires prescrits par le kinésithérapeute, elle a omis de prendre une décision que la loi lui imposait de prendre au sens de l’article 148 de la loi de principes.

Sur le fond :

L’article 5, §1er de la loi de principes créé dans le chef de l’administration pénitentiaire l’obligation de veiller à ce que les conditions de détention respectent la dignité humaine, tant sur le plan psychique et physique que matériel. Les conditions de détention doivent, en effet, permettre de « préserver ou d’accroître chez le détenu le respect de soi », et « solliciter son sens des responsabilités personnelles et sociales » .

L’exigence de limitation des effets préjudiciables de la détention, consacrée par l’article 6, §2 de la loi de principes a pour corollaire un autre principe, non repris tel quel dans la loi, à savoir le principe de normalisation. La limitation du préjudice subi en raison de la détention implique que l’on s’efforce de créer au sein de la prison « des situations qui, en dehors du fait que l’on est privé de liberté, correspondent autant que possible aux situations du monde extérieur » .

Une atteinte à ce droit ne peut se justifier que par un cas de force majeure, à savoir un événement soudain, imprévisible et incertain, pour lequel la direction se trouve dans l’impossibilité d’y remédier. Cet événement ne doit pas avoir été voulu par elle, ni causé par elle, même indirectement.

La Cour européenne des droits de l’homme a déjà jugé que :
« Le refus par les autorités de permettre à un détenu souffrant d’une pathologie grave de bénéficier d’une assistance médicale spécialisée et indépendante à sa demande est un élément que la Cour doit prendre en compte dans son appréciation du respect de l’article 3 par l’État » .

En l’espèce, la direction conteste la recevabilité de la plainte et explique que le kinésithérapeute n’est pas suffisamment disponible à l’établissement.
À cet égard, la Commission d’appel déplore l’absence de réaction de la direction lors de la procédure en première instance. L’intimé explique :
• Qu’il souffre d’un covid long sévère ;
• Qu’il a été hospitalisé trois mois, dont un mois passé dans le coma ;
• Qu’il souffre de séquelles respiratoires et motrices ;
• Qu’il n’est plus pris en charge par l’hôpital qui le suivait à l’origine ;
• Que son suivi à Nivelles n’est pas régulier puisqu’il a bénéficié de seulement trois séances kiné en une année ;
• Que ce suivi est indispensable pour atteindre les objectifs médicaux poursuivis et garantir une récupération totale ;
• Qu’il a introduit des demandes régulières auprès de la direction sans obtenir de réponse ;
• Que, dès lors, il s’est adressé à la DGD afin de prendre un rendez-vous chez un kinésithérapeute à l’extérieur ;
• Que dans le cadre de cette demande, la direction doit rendre un avis ;
• Qu’en désespoir de cause et en l’absence prise en charge, il s’est adressé à la Commission des plaintes
o À ce sujet, il indique « il semble pratiquement surréaliste que, pour bénéficier d’un traitement médical nécessaire et prescrit par le médecin, il faille obtenir une décision de la Commission des plaintes et par ce biais-là, une compensation octroyant le suivi médical effectif. Il est encore plus étonnant que la direction fasse appel de cette décision, reconnaissant implicitement qu’elle ne compte pas s’assurer du bon suivi de ces soins, alors qu’elle est sommée de le faire par la Commission des plaintes. ».

Si l’appelante invoque des difficultés organisationnelles justifiant – selon elle – l’absence de prise en charge de de l’intimé, il n’en demeure pas moins qu’elle ne fournit aucun élément objectif qui puisse permettre de justifier l’impossibilité d’outrepasser ces difficultés. Au vu des éléments susmentionnés, les problèmes organisationnels évoqués par la direction ne peuvent constituer un cas de force majeure en l’espèce.